N’écoutant que lui-même, Macron poursuit sa politique pro-riches

Le chef de l’État a invité plusieurs grands patrons internationaux à déjeuner à l’Élysée pour les rassurer, après des élections législatives désastreuses pour son camp. Une manière de montrer qu’il n’était pas question pour lui de changer de politique économique, même en minorité au Parlement.

Mathias Thépot, 30 juillet 2024 à 19h15

Tout changer pour que rien ne change. Arrivé troisième au premier tour des élections législatives le 30 juin, sauvé de l’humiliation lors du second tour le 7 juillet par les électeurs et électrices de gauche qui se sont déplacé·es massivement pour faire barrage à l’extrême droite, le parti macroniste est clairement devenu minoritaire en France.

Pourtant, le chef de l’État ne semble pas tirer les conclusions des résultats de ces élections qu’il a, rappelons-le, lui-même provoquées en annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale début juin. Tout particulièrement en matière d’économie, il ne voit pas d’alternative à sa politique, alors même que les citoyens lui ont fait savoir dans les urnes qu’ils n’en voulaient plus.

Preuve qu’il n’a pas pour idée de se remettre en cause, le président de la République a invité ce jeudi 25 juillet à l’Élysée pour déjeuner un parterre de grands patrons internationaux venus pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques (JO) et paralympiques (JOP) afin de les rassurer sur ses intentions pro-business. Un signal politique clair de la part de celui qui est accusé, bien au-delà des rangs de la gauche, de faire sécession avec les plus riches.

Étaient présents à l’Élysée Elon Musk, patron du groupe automobile Tesla et soutien de Donald Trump, James Quincey (Coca-Cola), Joseph Tsai (Alibaba), Brian Chesky (Airbnb), Shou Zi Chew (TikTok), Lee Jae-yong (Samsung) Aditya et Lakshmi Mittal (ArcelorMittal), ou encore Neal Mohan (YouTube). Côté français, Bernard Arnault (LVMH), Nicolas Namias (BPCE), Alexandre Bompard (Carrefour) ou encore Sébastien Bazin (Accor) étaient également conviés.

Ce déjeuner peut être apparenté à une sorte de « mini-Choose France », du nom de ce forum organisé à Versailles par Emmanuel Macron depuis 2018, où une délégation économique française passe chaque année la brosse à reluire aux investisseurs internationaux, pour qu’ils mettent un billet sur l’économie française, moyennant des avantages fiscaux.

Pas de remise en cause

Selon une conseillère élyséenne qui a parlé à l’AFP, Emmanuel Macron a, lors du déjeuner, voulu « rassurer » tous les patrons inquiets après des élections législatives désastreuses pour son camp politique, en se portant garant que ses réformes structurelles (baisse de la fiscalité sur le capital et les plus riches, flexibilisation du marché du travail, chômage, retraites…) ne seraient pas remises en cause.

Une conseillère de l’Élysée a précisé à l’AFP qu’Emmanuel Macron avait « expliqué les choix qui ont été les siens, avec notamment la dissolution » de l’Assemblée nationale, tout en les « invitant à continuer à investir dans notre pays ». Elle a aussi précisé qu’Emmanuel Macron leur avait donné « des gages » sur le fait qu’il a, lui, « l’attractivité chevillée au corps », et que cet élément serait « non négociable » lors des débats parlementaires à venir.

(À lire aussi Compétitivité et attractivité: les faux-semblants de l’Elysée 24 janvier 2018 )

Le mardi 23 juillet, face aux journalistes Nathalie Iannetta et Thomas Sotto sur France 2, le chef de l’État ne disait pas autre chose. Il analysait le moment politique actuel comme suit : « Que nous ont dit nos compatriotes ? Que notre pays a besoin de continuer à être plus fort et plus juste. » Mais encore ? « Quand je regarde les chiffres de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques – ndlr], on voit que la France est l’un des pays où la quantité de travail par habitant est la plus faible, donc on n’a pas besoin de la réduire. »

Comprendre : il n’est pas question pour le président de la République de revenir sur sa réforme des retraites repoussant l’âge légal de départ à 64 ans, pourtant très impopulaire, ni de réfléchir à une conférence sociale autour de la réduction du temps de travail, comme le propose le Nouveau Front populaire (NFP), désormais premier groupe à l’Assemblée nationale. « L’urgence du pays n’est pas de détruire ce qu’on vient de faire, mais de bâtir et d’avancer », a-t-il aussi lancé.

Pour le chef de l’État, « il faut continuer de réindustrialiser, d’améliorer la compétitivité et d’être le pays plus attractif d’Europe : c’est notre fierté depuis cinq ans ». Et peu importe si cette « fierté » relève davantage de l’autosatisfaction orwellienne. Car contrairement à ce que dit Emmanuel Macron, les chiffres ne montrent pas de réindustrialisation en France depuis son arrivée au pouvoir.

Selon l’Insee, la production manufacturière en volume restait encore inférieure au premier trimestre 2024 par rapport au milieu de l’année 2017. Les derniers chiffres de l’Insee publiés ce mardi 30 juillet montrent même que la production manufacturière est en recul au deuxième trimestre 2024, de 0,7 %.

Mais plutôt que de s’appuyer sur la statistique nationale, la Macronie préfère brandir des chiffres qui lui sont plus favorables. Ceux des baromètres de l’attractivité du cabinet d’audit américain EY et de Business France – une agence de l’État dirigée par un ancien député macroniste –, dont nous expliquions ici et qu’ils étaient très incomplets et ne représentaient en aucun cas une réalité scientifique.

C’est pourtant cette idée « d’attractivité » qui gouverne la politique d’Emmanuel Macron et lui permet de justifier sa politique de l’offre, sans jamais questionner les plus de 160 milliards d’euros d’aides publiques distribuées chaque année aux entreprises qui creusent le déficit.

À tout cela, Emmanuel Macron ne veut surtout pas déroger. « Oui, mais ça c’était avant, quand vous aviez une majorité à l’Assemblée… », pointait à juste titre le journaliste Thomas Sotto lors de l’interview du chef de l’État. Certes, « mais je pense que c’est bon pour le pays tout court », lui a rétorqué Emmanuel Macron. Bref, c’est clair : pour le chef de l’État, il n’est pas question de changer d’un iota la politique économique du pays.

Pacte législatif sans compromis

Autre preuve du déni démocratique en matière d’économie : ce mardi 30 juillet, Les Échos ont révélé les grandes lignes du « pacte d’action » prévu par le toujours premier ministre Gabriel Attal pour travailler avec d’autres forces politiques sur un « pacte législatif commun »… qui n’a de commun que le nom.

(À lire aussi Industrie française : l’attractivité de la rente 18 janvier 2022 )

Le groupe macroniste, qui s’est renommé Ensemble pour la République (EPR), propose certes d’améliorer le pouvoir d’achat, principale préoccupation de la population. Mais nulle idée, pour ce faire, de rehausser le Smic à 1 600 euros net, comme le propose la gauche, ou de réinvestir dans les services publics. Il s’agit juste de poursuivre la politique déjà engagée depuis 2017.

Le groupe EPR propose en effet, selon Les Échos, une revue des exonérations de cotisations sociales pour rapprocher le salaire net du salaire brut et inciter aux augmentations. Soit ce qui était déjà prévu depuis l’automne dernier, via la mission qui avait été confiée par Élisabeth Borne aux économistes Antoine Bozio et Étienne Wasmer.

Le parti présidentiel planche aussi sur une mesure visant à un meilleur « partage de la valeur » et à une amélioration de la « prime d’activité », également dans les tuyaux bien avant la dissolution de l’Assemblée nationale.

Les Échos nous apprennent enfin que le groupe EPR promouvra la « continuité sur la politique économique, avec une stratégie activité, emploi et croissance pour accélérer la réindustrialisation et inciter à la reprise d’emploi avec une réforme de l’assurance-chômage ». Bref, de compromis en économie, il n’y aura pas du côté de la Macronie.


Le chef de l’État a invité plusieurs grands patrons internationaux à déjeuner à l’Élysée pour les rassurer, après des élections législatives désastreuses pour son camp.

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